« La vie n’est qu’une ombre qui passe, un pauvre histrion qui se pavane et s’échauffe une heure sur la scène et puis qu’on n’entend plus… une histoire contée par un idiot, pleine de fureur et de bruit
et qui ne veut rien dire »

(Macbeth, V,5)

 

Avec ces portraits qui semblent arrachés au néant, Dominik Deniau nous présente un travail à la coloration sombre mais qui n’exclut ni la douceur, ni même l’espoir.

Son travail s’apparente à une étude de l’homme, radiographié par le biais d’un prisme rouge, parfois bleu. L’image est manipulée, les visages décortiqués, parfois torturés pour faire jaillir, derrière des apparences souvent séduisantes, la vérité de l’être et la panoplie des passions qui l’habite.

Le voyage intérieur auquel nous convient ces photos est marqué par la souffrance. On hésite tout d’abord, perplexe, mal à l’aise devant les visages aux orbites plongées dans l’obscurité. On pense à ces élégantes auxquelles un loup assurait l’anonymat, dans les bals ; à ces malfaiteurs dissimulant leurs yeux derrière un masque pour effectuer leurs mauvais coups ; ou même aux lunettes noires, quand elles sont portées pour cacher le regard et non pour attirer l’attention des autres sur soi.
Puis, on ressent ces visages mystérieux comme un avertissement : l’homme ne révèle qu’une partie de lui-même, l’homme est dissimulation. Quand l'artiste force le trait, le noir, tel une pourriture, gagne les orifices, lézarde les visages : l’image devient macabre, c’est le squelette qui transperce. Dominik Deniau travaille en funambule, entre la vie et la mort, oscillant d’un côté ou de l’autre au gré des photos. Le spectre du néant est omniprésent. La solitude de notre condition aussi. Une distance insondable sépare les personnages visibles sur les photos. Le sentier sur lequel l’artiste nous guide longe un gouffre.

Ailleurs, l’homme se débat pour échapper à ces affres. A la faveur d’un éclairage subtil, la pupille dilatée ou la bouche grinçante apparaissent. Et c’est tout un dégradé de sentiments que Dominik Deniau expose au pilori : espérance et convoitise, douceur et méchanceté, peur, luxure… il y a loin des sourires de la séduction, des rires affichés, aux passions dévoilées par le photographe. Nous sommes, au-delà de la désillusion, déjà dans l’amer constat : les vertus sont rares, et l’homme use de son prochain comme d'un rempart à ses propres angoisses.
Même si la bonté – paupière pudiquement baissée, regard franc – n’en est pas exclue, ce monde recomposé est grincement.

Alors, où est l’espoir ? Dans cet oeil brillant tourné vers le ciel ? Dans la recherche de vérité qui sourd de ce travail ? Dans la possible reconstruction de l’homme à partir d’éléments éclatés, dispersés, mais plus solides que les mirages de l’apparence ? Ou dans ce rêve qui peut réinventer l’homme - ce rêve dont ce nageur émerge, flou, lointain, aussi informe que l’embryon dans son liquide amniotique ?

A moins que l'espoir ne tienne, tout simplement, au parcours de l'artiste...

Flore Talamon
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